Il n’y a pas que les employeurs de la province qui s’inquiètent de la pénurie de main-d’œuvre. Dans une étude publiée aujourd’hui, et que La Presse a obtenue, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) et des acteurs du milieu de l’éducation lancent une mise en garde aux entreprises et aux jeunes qui seraient tentés de quitter leurs études trop tôt pour profiter des nombreux emplois disponibles et de la surenchère des salaires.

Un piège à éviter

Pas moins de 120 000 emplois étaient à pourvoir dans la province au premier trimestre 2019, dont près du tiers dans la métropole. Avec un taux d’emplois vacants de 4,1 %, le Québec se situe d’ailleurs au premier rang des provinces canadiennes. À Montréal, le nombre de postes à pourvoir a presque doublé en quatre ans, une tendance deux fois plus rapide qu’à Toronto et dix fois plus qu’à Calgary. Mais avec 30 % des emplois disponibles qui ne requièrent aucun diplôme, bien des jeunes pourraient, à long terme, tomber dans un piège, préviennent les auteurs de l’étude Persévérance scolaire et conciliation études-travail : une piste de solution à la pénurie de main-d’œuvre.

40 %
Taux de croissance des postes vacants qui ne demandent aucun diplôme

27 %
Taux de croissance des emplois disponibles qui nécessitent un diplôme collégial ou universitaire

4,2 %
Hausse moyenne des salaires pour les emplois qui ne demandent aucun diplôme en 2018

0,2 %
Hausse moyenne des salaires pour les emplois qui demandent un baccalauréat en 2018

Source : Persévérance scolaire et conciliation études-travail : une piste de solution à la pénurie de main-d’œuvre

La tentation est forte

Même si le taux de sortie sans diplôme ni qualification est en baisse au Québec et à Montréal depuis quelques années, le nombre d’inscriptions à la formation générale des adultes (pour ceux qui n’ont pas terminé leurs études secondaires dans le cursus normal) est en baisse, tout comme aux études collégiales. D’ailleurs, selon l’étude, 45 % des élèves du secondaire et 69 % de ceux inscrits à la formation générale des adultes considéreraient la possibilité d’interrompre leurs études devant la possibilité d’obtenir un emploi à temps plein. « Les entreprises sont en pénurie et elles cherchent des ressources. Et la rareté provoque une surenchère dans les salaires. […] Près d’un jeune sur deux serait prêt à interrompre ses études en raison de la possibilité d’obtenir un emploi avec le salaire qui lui convient. Si nous ne sommes pas attentifs, cela pourrait avoir des effets très pernicieux à long terme », prévient Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

500 000 $
C’est la somme supplémentaire que gagnera une personne au cours de sa carrière si elle termine ses études secondaires par rapport à une autre qui n’obtient pas son diplôme.

600 millions
Coût sur l’économie de Montréal du décrochage scolaire en 2018

Source : Persévérance scolaire et conciliation études-travail : une piste de solution à la pénurie de main-d’œuvre

Des pistes de solution

Andrée Mayer-Périard est directrice générale du Réseau réussite Montréal, qui cosigne l’étude publiée aujourd’hui. Elle aussi fait une mise en garde quant à la possibilité d’obtenir un emploi rapidement à un salaire intéressant. Car la tendance actuelle devrait s’inverser rapidement. D’ici 2026, ce sont les emplois exigeant des qualifications qui seront en forte demande, alors que ceux qui n’en demandent pas diminueront, notamment en raison de l’automatisation. « Je suis persuadée que nous pouvons satisfaire le marché du travail et les besoins des jeunes en matière d’éducation », dit-elle. Et c’est justement vers les employeurs que les auteurs de l’étude se tournent. « Le but est d’instaurer de bonnes pratiques chez les employeurs. Ils sont déjà nombreux à en avoir de très bonnes. Il faut construire une relation gagnant-gagnant malgré le contexte de pénurie de main-d’œuvre. Mettre en place des mécanismes d’alternance travail-études, notamment avec les horaires, tout en continuant de les encourager à justement rester aux études. »

Prévenir le décrochage, aider les raccrocheurs

« Les entreprises doivent dire aux jeunes qu’ils doivent continuer leurs études », affirme Michel Leblanc, président de la CCMM. « Le milieu de l’éducation doit aussi contribuer, ajoute-t-il. Des ajustements pourraient être apportés, notamment avec plus de cours du soir et plus de cours en ligne. […] Le gouvernement pourrait participer à cela aussi pour aider le développement de cette flexibilité nécessaire. Certains jeunes n’ont pas le choix de travailler et quitter leurs études pour un emploi à temps plein », souligne-t-il. De son côté, Andrée Mayer-Périard aimerait que le gouvernement du Québec assouplisse ses règles pour que ceux qui souhaitent se « raccrocher » à leurs études puissent obtenir l’aide nécessaire. « Une fois que tu as décroché, les responsabilités financières arrivent rapidement. Ça devient très difficile par la suite de raccrocher. »

Responsabilité collective

Que dire, donc, au restaurateur qui a finalement trouvé la perle rare qui lui permettra de continuer à exploiter son commerce ? Ou au propriétaire d’un magasin de détail qui pourra enfin respirer un peu mieux avec l’arrivée d’un jeune employé motivé et, surtout, très disponible ? « Je leur dis que je le comprends, dit Michel Leblanc. Mais que ça prend des mécanismes pour avoir deux employés, peut-être même trois. Un tout, une flexibilité qui leur permettra à la fois de travailler et de poursuivre leurs études. […] Il y a la responsabilité personnelle, mais il y a aussi une responsabilité collective. Nous allons nous appauvrir à long terme si nos jeunes quittent trop tôt leurs études pour profiter de la pénurie de main-d’œuvre actuelle. Il faut qu’un maximum d’acteurs de la société interviennent dans cet enjeu. »