Six ans après l’apparition du mot-clic #moiaussi, il y a de la lumière au bout du tunnel.

Dans le milieu du travail, les têtes ont roulé. Du président du Comité olympique canadien Marcel Aubut à l’animateur vedette Éric Salvail, les patrons ont appris qu’ils ne pouvaient pas toucher leurs employés sans consentement ou exhiber leurs parties intimes en pleine réunion.

N’empêche, le harcèlement au travail, autant sexuel que psychologique, reste endémique. Tenez-vous bien : un travailleur sur dix affirme avoir été victime de harcèlement au cours de la dernière année, selon un sondage de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.1

Il faut donc saluer l’initiative du ministre du Travail, Jean Boulet, qui a décidé de s’attaquer au harcèlement en déposant le projet de loi 42 qui fera l’objet de consultations parlementaires, à partir de mardi.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre du Travail, Jean Boulet

Alors oui, il y a de la lumière, mais elle se trouve au bout d’un labyrinthe. Car déposer une plainte pour harcèlement est un chemin tortueux qui peut laisser les victimes encore plus traumatisées.

Si le projet de loi 42 amène de belles avancées, il rate l’occasion d’offrir aux victimes un parcours simplifié qui leur permettrait d’obtenir l’indemnisation à laquelle elles ont droit, sans avoir à connaître tous les recoins du droit du travail.

Parmi les avancées, il faut souligner l’abolition des clauses d’amnistie contenues dans un grand nombre de conventions collectives. Ces clauses permettent d’effacer les gestes commis par un syndiqué après une certaine période (ex. : un an), ce qui empêche de lui imposer une sanction plus sévère en cas de récidive. Avis aux syndicats : ce sont les victimes qui doivent être protégées, pas les harceleurs qui sont souvent des récidivistes.

Autre pas dans la bonne direction : le ministre veut créer une équipe spécialisée, au sein du Tribunal administratif du travail, pour s’occuper des cas de violence à caractère sexuel avec le tact et l’expertise voulus, à l’image du nouveau Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale, du côté criminel.

Mais pour les victimes, encore faut-il se rendre jusque-là. D’une complexité inouïe, la législation entourant le harcèlement en milieu de travail est plus difficile à démêler qu’un spaghetti.

La victime a-t-elle subi de la discrimination ? D’autres préjudices ? S’est-elle retrouvée en arrêt de travail ? Les recours sont différents, selon les cas.

Faut-il cogner à la porte de la CNESST ? Déposer un grief ? S’adresser à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ? Les victimes qui se trompent de chemin se trouvent à tourner en rond, forcées de raconter leur histoire comme un cauchemar qui recommence sans cesse.

Trop de victimes règlent en cours de route, avec une entente au rabais, parce qu’elles sont mal informées ou parce qu’elles sont à bout de ressources financières. D’autres voient carrément leur recours tomber à l’eau parce qu’elles ont omis de faire une plainte à leur employeur dès le départ. Misère !

Les constats du comité chargé d’analyser les recours en matière de harcèlement sexuel au travail qui a remis un rapport de 300 pages en 2023 sont aussi tristes que choquants.2

Si on veut que ça change, il faut que les employeurs aient un processus de plainte plus clair et mieux connu. Et surtout, il faut que les plaintes soient prises en charge par une personne dûment formée et objective au sein de l’entreprise, ou encore par un expert externe si c’est ce qu’il faut pour assurer un suivi neutre et crédible.

Et pourquoi ne pas créer une ligne « 1 800 Harcèlement au travail » pour aider les victimes à s’y retrouver ? Il n’y a qu’à s’inspirer de la ligne Rebâtir, une mesure phare pour offrir du soutien juridique aux victimes de violence sexuelle ou conjugale, qui connaît un franc succès.

Bien d’autres éléments très techniques du projet de loi méritent d’être bonifiés.

Un seul exemple ? Il n’est pas normal que les jeunes victimes qui sont encore à l’école reçoivent une indemnisation pour seulement 17 heures par semaine, alors que les autres travailleuses ont droit à 40 heures. On voit des jeunes filles qui commencent un emploi d’été subir une agression très grave qui les empêche de travailler à temps plein et même de reprendre leurs études par la suite. Elles ont droit à une indemnisation pleine et entière.

Le harcèlement est un enjeu de santé publique qui touche non seulement les victimes, mais aussi leurs proches, leurs collègues, l’entreprise et la société au complet.

Le ministre Boulet a eu le courage d’entreprendre une réforme attendue depuis longtemps. Il ne doit pas rater l’occasion d’aller jusqu’au bout pour assainir le climat de travail toxique.

La position de La Presse

Le projet de loi 42 pour lutter contre le harcèlement au travail est un pas dans la bonne direction. Mais plusieurs bonifications pourraient simplifier davantage le parcours des victimes.

1. Lisez l’article « Harcèlement en milieu de travail : “Il n’est plus possible de se mettre la tête dans le sable” » 2. Consultez le rapport Mettre fin au harcèlement sexuel dans le cadre du travail : se donner les moyens pour agir