Enfiler une séance de yoga dans un studio en pleine jungle au Costa Rica après avoir travaillé toute la journée sur son ordinateur face à la mer : un mode de vie inaccessible ? Pour les nomades numériques, comme Isabelle Maheux, c’est le quotidien « ordinaire » au bureau.

Détrompez-vous si vous croyez que Mme Maheux est en mode vacances : elle est au travail et vit les mêmes contraintes liées aux tombées, aux réunions et aux livrables.

« Ça prend de la discipline, dit cette entrepreneure et consultante en coaching stratégique de 44 ans. Entre le magnifique paysage, la mer, la montagne et le beau temps, moi, j’ai du travail à faire ! »

Travailler à partir d’un pays étranger, pour une courte, moyenne ou longue période, n’est pas fait pour tout le monde. Il faut accepter, par exemple, de ne pas pouvoir tout voir ou tout faire dans le pays hôte, rappelle Isabelle Maheux.

« J’essaie de vivre dans le moment présent, confie cette entrepreneure originaire de la Beauce. J’accepte que je ne sois pas au Québec et que je manque plein d’affaires. On vit sans cesse avec le FOMO. » (FOMO est l’acronyme pour Fear Of Missing Out, soit la peur constante de rater quelque chose.)

Josianne Desjardins, une journaliste indépendante de 36 ans, a choisi de travailler à distance, tantôt du Mexique, tantôt de la Tunisie ou du Portugal, pour combiner son boulot à l’une de ses passions : le travail de coopération.

« J’ai beaucoup de liberté et de flexibilité dans mon travail », raconte-t-elle, en direct de Saly, au Sénégal.

PHOTO FOURNIE PAR JOSIANNE DESJARDINS

Josiane Desjardins, journaliste indépendante

En voyageant, je gagne en agrément, j’échappe à l’hiver, je peux réaliser des reportages à l’étranger et je participe comme coopérante à différents projets.

Josianne Desjardins, journaliste indépendante

Selon elle, la clé du succès réside dans l’organisation et la planification de ses tâches. « Il ne faut pas que ça nuise à ma productivité, glisse-t-elle, je dois garder la même constance. »

Créativité

Discipline, organisation, planification, concentration, bonnes habitudes de travail et structure de l’horaire reviennent dans les propos des deux nomades numériques. À cela, Jessica De Tillieux, une coach stratégique de 35 ans qui part régulièrement travailler à Dahab, en Égypte, ajoute la créativité.

« À distance, ça prend de la créativité, pour trouver des solutions pratico-pratiques, indique-t-elle, par exemple pour gérer notre maison au Québec ou gérer notre budget. »

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Jessica De Tillieux

Elle ajoute au passage que ses finances ont radicalement changé depuis qu’elle a pris la décision de travailler à l’étranger : elle considère qu’elle dépense beaucoup moins et qu’elle peut ainsi travailler moins.

« Ça vient par vagues, précise cette adepte de kitesurf, mais je dirais que je travaille environ 20 heures par semaine lorsque je suis basée à Dahab, qui est mon point d’ancrage de prédilection. »

Le télétravail à l’étranger gagne des adeptes depuis la pandémie : selon un rapport publié en septembre 2022 par la firme de consultation américaine MBO Partners, 16,9 millions de travailleurs américains se décrivent comme des « nomades numériques », une augmentation de près de 131 % par rapport à 2019.

Consultez le rapport de la firme MBO Partners (en anglais)

Le profil de ces travailleurs globe-trotteurs est plutôt hétérogène, souligne Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec.

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Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec

Ce sont souvent des gens célibataires, sans enfant, âgés de 30 ans et moins. Mais un autre profil se dégage, soit des gens qui ont une carrière bien établie et moins d’obligations familiales, qui ont plus de 50 ans et qui se rapprochent de la retraite.

Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec

Au-delà des compétences et des profils des travailleurs, ce sont les types de postes qui viennent rendre le télétravail à l’étranger possible ou non. Il s’agit souvent d’entrepreneurs, de travailleurs autonomes, de contractuels – et la plupart ont un niveau d’éducation élevé.

Dans l’air du temps

De l’avis du sociologue du travail Sid Ahmed Soussi, le nomadisme au travail est représentatif de notre époque : il signe la fin d’un mode de travail fixe, avec une standardisation des tâches et des processus, tel qu’instauré au début du XXe siècle.

« La révolution numérique a apporté la gestion par projets, explique le professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Avec les changements d’équipe et de projet, les gens sont déjà nomades : ils sont rassemblés autour d’un projet et cela change dans le temps. Il est évident que cela favorise le fait de changer de place, de se déplacer d’un endroit à un autre. »

Pour combien de temps ? Cela reste à voir, croit M. Soussi.

« Dans un contexte de pénurie de personnel, ce sont les employés, en ce moment, qui ont une grande capacité de négociation. Mais la situation est conjoncturelle : les rapports de force employés-employeurs peuvent changer rapidement… Donc je ne crois pas que ce sera éternel. »