Vous êtes propriétaire d’une petite entreprise manufacturière. La semaine dernière, votre superviseur de production vous rencontre afin d’obtenir vos conseils sur le comportement d’un employé. Depuis quelques semaines, ce dernier soupçonne un employé de se présenter au travail sous l’influence de la marijuana. Vous êtes désemparé car l’usage de cette substance à des fins récréatives est permise au Canada depuis le 17 octobre 2018 et vous n’avez toujours pas mis en place une politique à cet effet au sein de votre entreprise.

PISTES DE RÉFLEXION

Tout d’abord, rassurez-vous, même si vous n’avez pas de politique en place, vous pouvez tout de même gérer cette problématique. Cependant, si vous n’avez pas de politique, la gestion de cette situation risque d’être plus ardue. Voici quelques éléments à considérer :

Loi sur la santé et la sécurité

Selon la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST), l’employeur et l’employé ont des obligations en matière de santé et sécurité au travail et ce, même en l’absence d’une politique. Selon l’article 51.2, l’employeur doit veiller à ce que le travailleur n’exécute pas son travail lorsque son état représente un risque pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique, ou encore celle des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail ou à proximité de ces lieux, notamment en raison de ses facultés affaiblies par l’alcool, la drogue, incluant le cannabis, ou une substance similaire. (1)

S’il y a un risque pour la santé et la sécurité de l’employé et de ses collègues, l’employeur peut discipliner et comme toute autre mesure disciplinaire, la sanction va varier en fonction de la gravité de la faute.

La Charte des droits et libertés

La Charte des droits et libertés de la personne prévoit une protection contre la discrimination en fonction d’un handicap.(2) Certains tribunaux ont confirmé que la dépendance à la drogue constitue un handicap. Dans les situations de dépendance, l’employeur a un rôle d’accommodement. (3) Cela ne signifie toutefois pas de permettre la consommation en toutes circonstances s’il y a un danger pour la santé et la sécurité de l’employé ou de ses collègues. À titre d’exemple, et comme toute autre situation où vous jugez que la condition de l’employé pourrait engendrer des contraintes à l’occupation de son travail dans son cadre normal, il est possible de demander l’avis d’un médecin pour connaître les limitations et voir si vous êtes en mesure d’accommoder l’employé.

Les tests de dépistages

En ce qui concerne les tests de dépistage, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Irving (4), a déterminé qu’un employeur peut imposer un tel test à un employé seulement s’il a des motifs raisonnables de croire que ce dernier a les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions.

DES RÈGLES CLAIRES

Lorsque cette situation sera réglée, vous devrez mettre en place une politique prohibant la possession ou la consommation de drogues sur les lieux du travail. En établissant ce qui n’est pas toléré et les sanctions possibles en cas de non-respect, vous faciliterez votre gestion future si une situation similaire se présentait à nouveau. Finalement, n’oubliez pas de communiquer la politique à vos gestionnaires et à vos employés afin d’assurer la compréhension et l’adhésion de tous. (5)

Soyez avisés sur la notion de « tolérance zéro ». Au niveau de la jurisprudence, celle-ci n’est pas automatiquement admise pour l’ensemble des postes de l’entreprise, mais principalement pour les postes à risque. Rappelez-vous que « tolérance zéro » signifie une sanction automatique, voire même un congédiement sans précédant. L’identification des risques et des impacts sur les facultés affaiblies est primordiale.

Assurez-vous de distinguer « travailler sous l’influence de la drogue » et « consommer sur les lieux du travail » qui peut engendrer des sanctions différentes.

Afin d’être encore mieux outillés, assurez-vous que vos superviseurs et gestionnaires soient formés en ce qui concerne les signes de facultés affaiblies. Encore mieux, formez tous vos employés! Une grille d’observation peut aussi permettre de mieux documenter le dossier et de prendre les bonnes décisions en se basant sur des faits observables. Évidemment, conservez cette grille au dossier de l’employé.

COMPLÉMENT DE LECTURES

Voici d’autres lectures sur le sujet, publiées par notre équipe :


(1) Publication Québec. 2019. Loi sur la santé et la sécurité. Repéré à http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/S-2.1

(2) Publication Québec. 2019. Charte des droits et liberté. Repéré à http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/C-12

(3) Domfer poudres métalliques ltée – l’usine d’atomisation, D.T.E. 2006T-905.

(4) Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, ltée, [2013] 2 R.C.S. 458.

(5) CRHA. 2017. Comment s’adapter à la légalisation du cannabis en milieu de travail.

Ce texte ne constitue pas un avis professionnel. Les lecteurs ne devraient pas agir sur la seule foi des informations qui y sont contenues.


À propos de Nathalie Nadeau, CRHA

Diplômée universitaire en gestion des ressources humaines et en santé et sécurité du travail, Nathalie Nadeau, CRHA, possède plus de 20 ans d'expérience à titre de généraliste en ressources humaines. Par son expertise et ses conseils, elle contribue à l'élaboration des procédures et des politiques de gestion afin d’assurer le respect des obligations légales, elle conseille les gestionnaires relativement aux meilleures pratiques en gestion des ressources humaines et les accompagne dans leurs interventions auprès du personnel. À titre de spécialiste en santé et sécurité au travail, elle développe des programmes liés aux enquêtes d’accident, au verrouillage, au travail en hauteur et aux espaces clos et offre un support dans le suivi de l’aspect médico-administratif des dossiers santé et sécurité incluant la gestion des assignations temporaires et les suivis auprès des diverses instances administratives.